Je sens que chaque jour, l’on m’arrache des bouts,
De tout petits morceaux usés qui se détachent
De mon corps vieillissant. Et bien que je le sache,
Je ne l’accepte pas et veux rester debout.
Des bribes de ma vie partent à la dérive
Au fil cruel du Temps qui s’acharne sur nous !
Une nouvelle ride, un mal dans le genou…
Ma barcasse trouée s’éloigne de la rive
Et, posté à son bord, le matelot chenu
Que je suis devenue n’a plus vraiment la force
De tenir le timon. Même si je m’efforce
A paraître costaude et si le contenu
De ma tête blanchie est encor perspicace,
Je sens bien qu’en mon corps est mené un combat
Entre la mort qui vient et ma vie qui s’en va.
Je sais que l’âge est là, et parfois je suis lasse
De devoir faire mine en ne me présentant
Que légère, joyeuse et toujours pomponnée,
Semblant bien dans ma peau. Mais je sens les années
Corroder peu à peu mon aisance d’antan.
Quelquefois un désir me passe par la tête :
M’endormir pour de bon, ne plus me réveiller…
Oh ! Eviter qu’un jour un entourage inquiet
N’assiste à mon déclin ! Mon ultime défaite…
Car la Malédiction, non, ce n’est pas la mort ;
Elle ne m’effraie pas. C’est plutôt la vieillesse,
Son lot d’humiliations, de dégoût, de faiblesses ;
Les souvenirs d’hier vous harcelant encor.
Sans pouvoir m’accrocher, je glisse sur la pente.
Oh ! Arrêter le temps ou bien fermer les yeux
Pour m’en aller sitôt voir s’il existe un Dieu !
Etre sénile, un jour ? Cauchemar qui me hante…