Poème illustré par un tableau de :
Josse de Jomper ( vers 1660)
Le Génie de l’Ubaye vient d’être réveillé :
Une déflagration. Un grand coup de tonnerre
Fracassant le silence ! Autour de lui la terre
Vibre et semble tanguer. Tout un monde effrayé
Se fige sur le champ, et le ciel s’assombrit
Quand le Génie furieux qui écume de rage
Se redresse d’un bond. Un monstrueux orage
Fait fulgurer ses yeux car les lieux qu’il chérit
Tout là-haut sont sacrés. Les Hommes inconscients
En minent peu à peu la beauté si fragile
En les défigurant : immeubles inutiles
Et pistes déboisées par des engins bruyants.
Les pentes mutilées se couvrent de maisons
Tentant bien vainement de copier l’harmonie
Des antiques chalets ; ces pistes où l’on skie
Par cents et par milliers lui font perdre raison…
L’Esprit de la montagne en est exaspéré.
Il pousse alors un cri, hurlement gigantesque
Déchaînant sur le champ la rupture dantesque
D’un grand pan de montagne où pousse une forêt.
D’énormes rochers noirs déboulent vers le val,
Marée d’arbres, de pierre anéantissant tout,
La chute de l’à-pic venant enfin à bout
Des bâtisses gâchant son monde minéral.
N’aspirant qu’au maintien de son havre pentu,
Le Génie des Hauts Lieux qui s’est calmé regagne
Son antre inaccessible au coeur de la montagne,
En bas tout semble mort ; le Progrès s’y est tu…