Poème illustré par un tableau de :
Charles-Ferdinand Caramano
(1829-1909)
Il était une fois au pied du mont Ventoux
Un tout petit mazet où vint vivre une fée
Qui dit être bergèr(e) ; personne ne savait
D’où venait la donzelle ; on en ignorait tout
Et c’était bien ainsi : mieux vaut ne pas savoir
Que son voisin parfois est quelqu’un de bizarre !
On attribua donc à un fâcheux hasard
Le fait que nul jamais ne s’en vienne la voir !
Semblant être vraiment tombée du haut des nues,
Elle était fort gentille, agréable et jolie ;
L’on ne lui reprochait qu’une seule folie :
Ne pouvant supporter que ses bêtes soient nues,
La pastro entêtée ne les tondait jamais !
Ce qu’on ne savait pas, c’est que cette manie
N’était pas anodine ! En cas de tragédie,
Les moutons de la fée devaient être bouclés…
Puis s’en vint un été torride et désastreux,
Tel que même les vieux n’en avaient jamais vu !
Un brasier gigantesque dévorant les nues
S’abattit sur la lande et y bouta le feu.
Tous pensaient donc mourir sous ce soleil abscons
Qui grillait, desséchait la nature et les hommes
Quand la fée réagit ; et elle était si bonne
Qu’elle n’hésita plus à dévoiler ses dons.
Elle changea alors ses moutons en nuages
D’un seul coup de baguette, pour y puiser la pluie :
Marmonnant quelques mots comme une litanie,
Elle les fit monter au-dessus du village
Où ils se déversèrent soudain en orage :
Des nuages-moutons tout à coup liquéfiés !
On acclama la fée. Mais elle se méfiait…
Et nul ne la revit plus jamais au village
Où jadis ses consoeurs n’avaient pas fait long feu.
On la pleura beaucoup ; on fut même vexé
Du manque de confiance et d’amour de la fée.
Et puis son souvenir s’effaça peu à peu.
Seuls quelques troubadours la célèbrent encore :
On pourrait dire d’eux que leur parole est d’or…