Poème illustré par un tableau de :
Jacob Jordaens
(1593-1678)
A Lançon, il y a un groupe de vieillards,
Quatre joyeux lurons qui ne songent qu’à rire,
Mais qu’on dirait très sages ; on ne peut rien en dire
Car ils se couchent tôt et se lèvent très tard…
C’est du moins ce qu’on croit : quand on les pense au lit,
Ils sont devant leur glace à bien se pomponner ;
Et puis, dès qu’ils sont beaux, ils filent pour hanter
Les lieux où l’on s’amuse et les boîtes de nuit.
Car ils ont un secret : l’un d’eux, un magicien,
En échange d’un mois pris à leur existence,
Leur donne tous les soirs l’élixir de jouvence
Qui les rend tout fringants jusqu’au petit matin.
Vraie vie de patachon qui n’est plus de leur âge,
Mais dont leur faux copain se nourrit patiemment ;
Car, tout comme un vampire, il leur suce leur temps
En notant chaque jour les dégats, les ravages
Physiques et moraux dont souffrent ses amis.
Les trois pauvres vieux fous ne s’en rendent pas compte :
Non ! Ils font la java sans éprouver de honte
Et vieillissent presto pendant qu’il rajeunit.
Il leur a fait écrire à tous un testament
Pour le remercier du bonheur qu’il leur donne.
Surhommes chaque nuit, la vie les abandonne
Chaque jour un peu plus. Calmement lui attend
Qu’ils s’éteignent enfin comme vieilles bougies.
Pourquoi donc ne voient-ils point en leur faux miroir
Que ces lieux dépravés sont pour eux des mouroirs ?
Mais ils sont aveuglés par leurs folles orgies…