Un énorme mistral qui dévale du Nord
Courbe les cyprès bleus dont les cimes pointues
Raient le ciel indigo de striures aiguës.
Et face à nous, là-bas, juste posée au bord
De la falaise ocrée, une vieille bâtisse
Est fixée au rocher par d’invisibles liens
Enracinés au sol. Il suffirait d’un rien
Pour la faire chuter tout au fond des abysses ;
Mais elle est amarrée au sol depuis cent ans…
Ou peut-être bien mille ! Edifice immuable,
Tel une citadelle hautaine, invulnérable,
Que rien ne défigure et insensible au temps…
Si ce n’est qu’en dessous, aux tréfonds de la Terre,
S’est creusé un ravin perfide et ignoré
Qui ronge lentement le sous-sol infiltré
Par l’eau insinuée dans un profond mystère.
Un jour viendra peut-être où elle croulera,
Effondrée dans la mer pour de bon victorieuse,
Piteuse ruine en tas que les vagues vicieuses
Viendront lécher tout doux, et qui disparaîtra…
Nous, ça fait si longtemps que nous vivons ensemble
Que nous avons bâti notre vie sur un roc :
De longs jours édifiés et de bric et de broc,
Parfois péniblement, et dont souvent il semble
Qu’on ait fait un rempart inusable et costaud.
Mais n’y aurait-il pas, par-dessous, le murmure
Du temps qui détruit tout ? Serait-ce pas l’usure
Qui s’en viendrait saper quelques années trop tôt
Un amour que la mort seule pourrait défaire,
Elle exclusivement. Il nous semble parfois
Que l’on s’ennuie un peu, qu’on a perdu la foi…
Mais la mer a fini son travail mortifère :
Le vent souffle toujours, et la vieille maison,
A l’assise minée par l’eau inamicale,
A craqué d’un seul coup. La bâtisse bancale
Est tombée dans les flots. Contre toute raison ?