En un siècle presqu’oublié,
Dans la ville de Tarascon,
Gentes dames et chevaliers
Ecoutaient les contes abscons
Et terrifiants d’un troubadour :
C’étaient les exploits diaboliques
D’une Bête des alentours
Vivant en des temps héroïques :
« Un monstre énorme et tout gluant
De quelque deux cents pieds de long,
Au dos hérissé de piquants,
Moitié cheval, moitié poisson ;
Une Bête à la tête humaine
Qui dévorait tous les passants
Se risquant près de sa caverne
Creusée sous le Rhône écumant.
Chacun se terrait dans son trou
Terrorisé par la Chimère.
On ne travaillait plus du tout,
Crevant de faim et de misère …
Quand un jour une barque d’or
Venue du grand Sud accosta.
Une jeune fille à son bord !
La Bête se précipita
Pour déchiqueter le tendron :
Icelle jeta son ruban
Au cou hérissé du dragon
Qui devint doux comme un enfant.
Sainte Marthe – c’était bien elle !
La menant comme un chien en laisse,
Livra la Bête à la tutelle
Des Tarasconnais en liesse
Qui sans vergogne l’égorgèrent »
Il y eut lors un long silence …
Puis les jeunes gens se signèrent
Mais ne reprirent point leur danse.